Éric Languet
ERIC LANGUET :
L’ANTICORPS DE BALLET
« En tant qu’artiste, ce qui m’intéresse depuis toujours, c’est de voir et de rendre compte ; comment chaque individu se détermine au quotidien ; comment il se situe par rapport à l’autre, aux autres, à la norme ou l’anormalité. Que signifie pour lui le rejet ou l’intégration à un groupe ? Dans ma démarche créative, j’aime mélanger des gens avec leurs différents bagages techniques, culturels, biographiques ou physiques et voir quelle(s) histoire(s) se raconte (nt) pendant le temps de cette rencontre. Cette démarche que j’utilise pour mes créations chorégraphiques, s’étend aussi à notre réflexion et à notre relation avec le public et le spectacle. »
Eric Languet
S’il sait en accepter les codes et conventions, Eric Languet avoue n’avoir jamais su s’intégrer à un groupe. Et c’est sans doute ce sentiment d’illégitimité qui nourrit depuis trente ans son parcours de danseur et chorégraphe, questionnant la marge, l’a-normalité, invitant au bal ceux que la vie ne destinaient pas à danser.
Des groupes, il en a pourtant intégré quelques-uns, et non des moindres. Après avoir découvert la danse à l’île de La Réunion, où il a grandi, il étudie au CNR de Rueil-Malmaison et embrasse la carrière de danseur classique. Une carrière qui le mènera à l’Opéra de Paris, puis au Royal New-Zeland Ballet où il sera nommé danseur étoile puis chorégraphe résident. S’il y respecte la hiérarchie de mérite, il goûte en revanche moins l’étiquette que son statut de danseur étoile lui suggèrerait d’adopter.
La rencontre du travail de Jiri Kylian, William Forsyte et Douglas Wright influenceront alors son esthétique et son propos chorégraphique. Danseur pour le Meryl Tankard Australian Dance Theatre, il expérimente le travail de composition instantanée avec Mark Tompkins et l’approche du théâtre physique avec le Zéro théâtre.
La voie de Danses en l’R, compagnie qu’il crée en 1998 à La Réunion, est alors tracée : celle d’une danse de l’humain dans la société, mettant en scène l’individu et ses difficultés dans ce qu’ils ont de plus simple, le geste.
Sa conception du beau et ses techniques de travail évolueront encore grâce à deux rencontres essentielles, celles avec Lloyd Newson, sous la direction duquel il travaille au sein du DV8 Physical Theatre pour la création de The cost of living de 2000 à 2003, puis celle de David Toole, formidable danseur né sans jambe, avec qui il tourne en Europe en 2003 pour la reprise de cette création. La beauté, chez Eric Languet, n’a désormais plus de rapport avec l’esthétique des corps. Elle se situe ailleurs, dans les failles, les fêlures, la subtilité et l’ambigüité des rapports à l’autre.
Formé à la danse intégrée par Adam Benjamin, co-fondateur de la compagnie Candoco, Eric Languet mène depuis 2004 un programme d’ateliers en lien avec les institutions et les hôpitaux de La Réunion, ELEC (Espace libre et change), mêlant danseurs handicapés et non-handicapés. Il a intégré à sa compagnie Wilson Payet, danseur en fauteuil formé dans le cadre de ces ateliers, interprète de deux de ses créations, Attention fragile (2012) et Fragments d’un discours lumineux (2014), création dans laquelle Eric Languet danse.
Car le chorégraphe n’a jamais cessé de danser et nourrit aussi ses créations de ses expériences d’interprète. Celle avec Robyn Orlin en 2013, sur In a world full of butterflies, it takes balls to be a caterpillar, some thought of falling… a d’ailleurs certainement conforté sa vision chorégraphique, entre théâtre physique, performance et pouvoir de subjuguer de la danse.